Microbiote intestinal (flore intestinale)
Une piste
sérieuse pour comprendre l’origine de nombreuses maladies
Notre tube
digestif abrite pas moins de 1012 à 1014
micro-organismes, soit 2 à 10 fois plus que le nombre de cellules qui
constituent notre corps. Cet ensemble de bactéries, virus, parasites et
champignons non pathogènes constitue notre microbiote intestinal (ou flore
intestinale).
Son rôle est de mieux en mieux connu et les chercheurs tentent aujourd’hui de
comprendre les liens entre les déséquilibres du microbiote et certaines
pathologies, en particulier les maladies auto-immunes et inflammatoires.
Dossier réalisé
en collaboration avec Rémy Burcelin (unité Inserm 1048 /université de Toulouse
Paul Sabatier, Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires, hôpital
Rangueil, Toulouse), Laurence Zitvogel (unité Inserm 1015 /Université Paris
Sud, "Immunologie des tumeurs et immunothérapie contre le cancer",
Institut Gustave-Roussy, Villejuif), Guillaume Fond (unité Inserm 955
/Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, Fondation FondaMental, Institut
Mondor de recherche biomédicale, hôpital Mondor, Créteil) et Harry Sokol (unité
Inserm 1157 /CNRS/UPMC, "Micro-organismes, molécules bioactives et
physiopathologie intestinale", Hôpital Saint-Antoine, Paris)
Le microbiote
est l'ensemble des micro-organismes - bactéries, virus, parasites, champignons
non pathogènes, dits commensaux - qui vivent dans un environnement spécifique.
Dans l'organisme, il existe différents microbiotes, au niveau de la peau, de la
bouche, du vagin… Le microbiote intestinal est le plus important d'entre
eux, avec 1012 à 1014 micro-organismes : 2 à 10 fois plus
que le nombre de cellules qui constituent notre corps, pour un poids de 2 kilos
!
Le microbiote
intestinal est principalement localisé dans l'intestin grêle et le côlon
– l'acidité gastrique rendant la paroi de l'estomac quasi stérile. Il est
réparti entre la lumière du tube digestif et le biofilm protecteur que forme le
mucus intestinal sur sa paroi intérieure (l’épithélium intestinal).
La présence de
micro-organismes dans l'intestin est connue depuis plus d'un siècle et on a
vite présupposé qu'il existait une véritable symbiose entre notre organisme et
cette flore. Mais, jusque récemment, les moyens techniques permettant
d’étudier les détails de cette interaction étaient limités : seule une minorité
d'espèces bactériennes du microbiote pouvait être cultivée in vitro. La
mise au point des techniques de séquençage haut débit du matériel génétique ont
donné un nouvel élan à cette recherche et il existe aujourd’hui un réel
engouement de la recherche pour décrire la nature des interactions
hôte-microbiote, celles des micro-organismes entre eux, et leur
incidenceincidenceNombre de cas nouveaux d'une maladie, apparus durant une
période de temps donnée. en matière de santé.
Ainsi, le rôle
du microbiote intestinal est de mieux en mieux connu. On sait désormais qu'il
joue un rôle dans les fonctions digestive, métabolique, immunitaire et
neurologique. En conséquence, la dysbiose, c'est-à-dire l'altération
qualitative et fonctionnelle de la flore intestinale, est une piste sérieuse
pour comprendre l'origine de certaines maladies, notamment celles sous-tendues
par des mécanismes auto-immuns ou inflammatoires. Cette thématique est devenue
centrale pour la recherche biologique et médicale.
Microbiote
intestinal © PixScience pour l'Inserm
A l'instar de
l'empreinte digitale, le microbiote intestinal est propre à chaque individu
: il est unique sur le plan qualitatif et quantitatif. Parmi les 160 espèces
de bactéries que comporte en moyenne le microbiote d'un individu sain, une
moitié est communément retrouvée d'un individu à l'autre. Il existerait
d'ailleurs un socle commun de 15 à 20 espèces en charge des fonctions
essentielles du microbiote. Bien que cela soit discuté, il semble que l'on
puisse distinguer des groupes homogènes de population, selon la nature des
espèces qui prédominent dans leur microbiote : on distingue trois groupes – ou entérotypes
– principaux : bacteroides, prevotella et clostridiales.
Les virus
bactériens (qui infectent les bactéries) sont aussi très nombreux au sein du
microbiote. Ils peuvent modifier le patrimoine génétique des bactéries
intestinales ou son expression. Ainsi, le virome constitue sans
doute une autre pièce dans le puzzle de la physiopathologie propre à la flore
intestinale, tout comme le microbiote fongique qui regroupe levures et
champignons. Autant de sujets d’étude à explorer.
Micrographie
électronique à basse température d'un groupe de bactéries E. coli (X10 000) ©
Photo d'Eric Erbe, colorisation numérique par Christopher Pooley, tous deux de
l'USDA, ARS, EMU. Cette image a été publiée par l'Agricultural Research
Service, l'agence de recherche du Département de l'Agriculture des Etats-Unis
(ID K11077-1).
Le microbiote
d'un individu se constitue dès sa naissance, au contact de la flore vaginale
après un accouchement par voie basse, ou au contact des micro-organismes de
l'environnement pour ceux nés par césarienne. La colonisation bactérienne a
lieu de façon progressive, dans un ordre bien précis : les premières bactéries
intestinales ont besoin d’oxygène pour se multiplier (bactéries aérobies :
entérocoques, staphylocoques…). En consommant l'oxygène présent dans l’intestin,
elles favorisent ensuite l'implantation de bactéries qui ne prolifèrent
justement qu’en absence de ce gaz (bactéries anaérobies : bactéroides,
clostridium, bifidobacterium…).
Sous
l'influence de la diversification alimentaire, de la génétique, du
niveau d'hygiène, des traitements médicaux reçus et de l'environnement,
la composition du microbiote intestinal va évoluer qualitativement et
quantitativement pendant les premières années de vie. Ensuite, la composition
qualitative et quantitative du microbiote reste assez stable. La fluctuation
des hormones sexuelles – testostérone et estrogènes – pourra malgré tout avoir
un impact sur sa composition. Des traitements médicaux, des modifications de
l'hygiène de vie ou divers événements peuvent aussi modifier le microbiote, de
façon plus ou moins durable. Par exemple, un traitement antibiotique réduit
la qualité et la quantité du microbiote sur plusieurs jours à plusieurs
semaines. Les espèces initiales sont capables de se rétablir en grande
partie, mais des différences peuvent subsister. Des antibiothérapies répétées
au cours de la vie pourraient ainsi induire une évolution progressive et
définitive du microbiote, potentiellement délétère. Il semble cependant que
nous ne soyons pas tous égaux face à ce risque : certains auraient un
microbiote plus stable que d'autres, face à un même événement perturbateur.
Quand le microbiote rend service à l'organisme
Le microbiote
intestinal assure son propre métabolisme en puisant dans nos aliments
(notamment parmi les fibres alimentaires). Dans le même temps, ses
micro-organismes jouent un rôle direct dans la digestion :
- ils
assurent la fermentation des substrats et des résidus alimentaires non
digestibles
- ils
facilitent l'assimilation des nutrimentsnutrimentsSubstance alimentaire
qui n’a pas besoin de subir de transformations digestives pour être
assimilée par l’organisme. grâce à un ensemble d'enzymes dont l'organisme
n'est pas pourvu
- ils
assurent l'hydrolyse de l'amidon, de la cellulose, des
polysaccharidespolysaccharidesGlucides constitués par un grand nombre de
sucres simples...
- ils
participent à la synthèse de certaines vitamines (vitamine K, B12, B8)
- ils
régulent plusieurs voies métaboliques : absorption des acides grasacides
grasCatégorie de lipides assurant un rôle fondamental dans la structure
des cellules et le stockage de l’énergie., du calcium, du magnésium...
Les plaques de
Peyer sont l'un des constituants du tissu lymphoïde associé à l'intestin et
représentent un site constitutif de la réponse immunitaire de l'intestin ©
Inserm, C. Lebreton
Des animaux
élevés sans microbiote (dits axéniques) ont ainsi des besoins
énergétiques 20 à 30% fois supérieurs à ceux d'un animal normal.
Le microbiote
agit en outre sur le fonctionnement de l’épithélium intestinal : des
animaux axéniques ont une motricité du tube digestif ralentie. La
différenciation des cellules qui composent cet épithélium est inachevée et le
réseau sanguin qui l'irrigue est moins dense que chez l'animal normal. Or, ce
système vasculaire a un rôle déterminant pour le métabolisme nutritionnel et
hormonal, ainsi que pour l'arrimage de cellules immunitaires au sein de la
paroi intestinale.
Le microbiote
intestinal participe en effet pleinement au fonctionnement du système
immunitaire intestinal : ce dernier est indispensable au rôle barrière de
la paroi intestinale, soumise dès la naissance à un flot d'antigènes d'origine
alimentaire ou microbienne. Ainsi, des bactéries comme Escherichia coli
luttent directement contre la colonisation du tube digestif par des espèces
pathogènes, par phénomène de compétition et par production de substance
bactéricides (bactériocines). Parallèlement, dès les premières années de vie,
le microbiote est nécessaire pour que l'immunité intestinale apprenne à
distinguer espèces amies (commensales) et pathogènes. Des études
montrent que le système immunitaire de souris axéniques est immature et
incomplet par rapport à celui de souris élevées normalement : dans l'épithélium
intestinal de ces souris, les plaques de Peyer, inducteurs de l'immunité au
niveau intestinal, sont immatures et les lymphocytes, effecteurs des réactions
immunitaires, sont en nombre réduit. La rate et les ganglions lymphatiques, qui
sont des organes immunitaires importants pour l'immunité générale de l'organisme,
présentent aussi des anomalies structurelles et fonctionnelles.
L'inflammation
est un élément important, étroitement corrélé à l'immunité : il existe à la
fois un niveau physiologique d’inflammation indispensable, contrôlant notamment
le microbiote, et des réactions inflammatoires importantes déclenchées en
présence d'espèces pathogènes. Ce dernier mécanisme repose notamment sur
la présence de composants bactériens inflammatoires, comme les lipopolysaccharides
(LPS) présents à la surface de certaines bactéries (Gram négatif). Ces
antigènes provoquent une réaction immunitaire de la part des
macrophagesmacrophagesCellule du système immunitaire chargée d’absorber et de
digérer les corps étrangers intestinaux qui produisent alors des médiateurs
pro-inflammatoires (cytokinescytokinesSubstance synthétisée par certaines
cellules du système immunitaire, agissant sur d'autres cellules immunitaires
pour en réguler l'activité. ). Ceux-ci déclenchent une inflammation locale
et augmentent la perméabilité de la paroi intestinale. Les LPS peuvent alors
traverser cette dernière, passer dans la circulation sanguine, et provoquer un
phénomène inflammatoire dans d'autres tissus cibles.
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